& a Fade to Grey / 2014 / poésie vidéo (28')
Libre. / 2015 / vidéo (30")
Nowhere / 2016 / vidéo (9'30")
Escarpolette atomique / 2016 / boucle vidéo
Ad Infinitum / 2017 / vidéo 35'
Création graphique : Atelier Tout va bien
À Dole, Psyché annonce la fin des jours, Guillaume Lasserre, Médiapart, 12 janvier 2019
Publication du texte La fin des jours, Inter art actuel (Québec), N° Apocalypse, octobre 2018
Lydie Jean-Dit-Pannel, artiste papillonnante, Le Monde, 18 août 2017
What a Wonderful World, par Florian Gaité, Inferno Magazine, juin 2016
Lydie Jean-Dit-Pannel : L'insurection de Psyché, par Florian Gaité, revue BRANDED 11
A tire d’ailes, Entretien avec Boum ! Bang Magazine, janvier 2014
Lydie Jean-Dit-Pannel par Gilles Forest, Catalogue «Les 20 ans du WHARF»
Inked People, Inked Magazine n°10
Un point c'est tout par Jean-Paul Fargier, Turbulences vidéo n°68
De Marseille à Damas, de femme en film par Marc Mercier Bref n°94
Empapillonage réussi par Émilie Rousset, Tatouage Magazine n°52
Omelette de genre par Jean-Paul Fargier, Turbulences vidéo n°53
Monte là-dessus et tu verras Montmartre par Jean-Paul Fargier, Les Acharnistes n°13
Au triage, artistes et public fort bien aiguillés par Philippe Dagen, Le Monde 28.06.03
LJDP, vidéaste psychédélique L'express Mag 24.04.03
Auto-bio-vidéo par Virginie Dupray, Coil n°5
Vidéo et débats par Daniel Karlin, Libération n°4777
Centre audiovisuel Simone de Beauvoir (France)
En cours de préparation (2025)
ROAD TO NOWHERE SOUTH-EAST, Miami - Nowhere (Oklahoma)
2024
A Long Way, parc du Centre d’art contemporain Les Tanneries, Amilly
Longer le Néant - Traverser La Vie
2023
ROAD TO NOWHERE WEST, Los Angeles - Nowhere (Oklahoma)
Verlaine - Rimbaud, de la tombe de Verlaine à celle de Rimbaud
2022
ROAD TO NOWHERE, New York - Nowhere (Oklahoma), 2602,2 km
Tout autour de Vaduz, marche en hommage à Bernard Heidsieck
En attendant d'aller Nulle part, maison des arts centre d'art contemporain de Malakoff
2024
A Long Way, Les Tanneries, centre d'art d'intérêt national, Amilly
Vivante, ESPAL, scène nationale du Mans
2022
En attendant d'aller Nulle part, Artothèque de Caen
Nos trésors, Hôpital Paul Brousse, dans le cadre de « Le temps du regard (pour une présence de l’art à l’hôpital)»
Lydie Jean-Dit-Pannel, 10 ans dans le bruissement du monarque,
Retrospective multi-sites à Montréal :
2024
Le mix des oiseaux, performance sonore avec Gauthier Tassart, LAAC Dunkerque
2023
Performance Earth Massage, dans le cadre de Pollution(s), le sol est la peau du monde, Mortagne-du-Nord
Lecture / échange Road to Nowhere dans le cadre de Couper les fluides, centre d’art contemporain de Malakoff
Lecture / échange Road to Nowhere, Artothèque de Caen
2021
Les 50 ans du Vidéographe, cinémathèque québécoise, Montréal
Le mix des oiseaux, performance sonore avec Gauthier Tassart, radio Kanal Centre Pompidou Brussels
Exposition Jaunes centre culturel de Liège, Belgique
le Mix des Oiseaux festival Interstice 14, Caen (avec Gauthier Tassart)
le Mix des Oiseaux Maison des arts CAC de Malakoff (avec Gauthier Tassart)
le Mix des Oiseaux Musée des Beaux-Arts de Dole (avec Gauthier Tassart)
Exposition Lignes de vie - Une exposition de légendes, MAC VAL
Aide individuelle à la création, DRAC Bourgogne
_______________
TEXTES
Lydie Jean-Dit-Pannel, une rétrospective
Guillaume Lasserre 2020
https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/280720/lydie-jean-dit-pannel-une-retrospective
Le Musée des Beaux-arts de Dole célèbre Lydie Jean-Dit-Pannel à travers trente ans de création artistique et d'engagement militant. Intitulée « ALIVE », cette première rétrospective révèle une production artistique menée avec l'urgence du combat dans laquelle chaque oeuvre résonne comme un cri viscéral. Psyché la voyageuse n'en finit pas de nous transporter.
Ce n'est pas un hasard si la rétrospective des œuvres de Lydie Jean-Dit-Pannel (née en 1968 à Montbéliard, vit et travaille à Malakoff) a lieu au Musée des Beaux-arts de Dole dont l'originalité des collections tient à leur ouverture depuis près de trente ans à la création contemporaine, particulièrement dans le domaine pictural. Ainsi, l'accrochage permanent, revisité récemment par la directrice du musée, Amélie Lavin, présente, entre les bouleversants paysages d'Auguste Pointelin (1838 - 1933), les peintures religieuses ou mythologiques et les portraits du XIXème siècle, un ensemble de toiles engagées exécutées par Rancillac, Cueco, Erro, Alleaume et les autres qui vient bousculer l’organisation trop sage qui prévaut dans un musée des beaux-arts classique, instillant une forme de désordre dans l’ordre établi, un vent de révolte passé qui trouve un second souffle dans la relecture des évènements récents auxquels Lydie Jean-Dit-Pannel a pris une part active. Rares sont les artistes qui en France s’engagent ainsi. Depuis la fin de la coopérative des Malassis, actant de l’avortement de la révolution de Mai 68, les plasticiens, isolés dans leur pratique solitaire, semblent se tenir à l‘écart des bruits du monde. Dans les écoles d’art, la stratégie et le management font leur entrée, supplantant peu à peu une approche libertaire devenue tristement anachronique. Les formations foisonnent. L’artiste est un professionnel comme les autres veut-on nous faire croire. Heureusement, quelques uns entrent en résistance, font corps avec la société plutôt que de la tenir à distance. Plasticienne, vidéaste et performeuse, Lydie Jean-Dit-Pannel a ses convictions chevillées au corps. Farouche défenseuse de la nature, elle manifeste contre les violences sociales et le nucléaire, ses combats, exprimant ceux-ci dans son travail artistique autant que dans la rue. Deux pratiques qui chez elle, sont de moins en moins distinctes, l’artiste et l’activiste semblant avoir fusionné dans le personnage de Psyché, guerrière mythologique et alter-ego de l’artiste.
La rétrospective s’inscrit dans la suite de l’exposition « La fin des jours », organisée dix-huit mois plus tôt qui en constituait le prologue, permettant au public dolois d’appréhender l’univers artistique de Lydie Jean-Dit-Pannel avec lequel il retrouve aujourd’hui une familiarité acquise lors du premier volet. Deux photographies emblématiques sont placées en amont du parcours qui traverse trente années de travail artistique, deux mises en exergue qui disent beaucoup de l’artiste. « Ashes to Ashes » (2010) donne à voir, dans un cadrage serré très cinématographique qui reprend le format 16/9ème, le dos dénudé de Lydie Jean-Dit-Pannel, tatoué de papillons monarques, allongé sur la tombe du poète et nouvelliste Charles Bukowski (1920 – 1994) qui aurait eu cent ans cette année. Le visage prend appui sur la plaque mortuaire, l’embrasse sans doute, tandis que les bras l’enlacent. Seule la nuque se devine derrière la chevelure auburn tenue par une pince dont la forme, une tête de mort et deux tibias entrecroisés sous un crâne, renvoie aux memento mori[1]. Le nom du poète, gravé sur la plaque, se devine plutôt qu’il n’apparaît, le visage de l’artiste en masquant plus de la moitié, rendant également illisibles les dates de vie et de mort ainsi que la courte épitaphe empreinte d’ironie : « Don’t cry ». Une certaine langueur se dégage de la scène qui apparaît paisible, presque sensuelle dans ce relâchement des tensions, cet abandon du corps. Une sorte de repos de la guerrière qui préfigure déjà son invention. L’intitulé de la photographie renvoie au titre d’une chanson de David Bowie (1947 – 2016), autre figure majeure dans le panthéon de l’artiste, tout comme le chanteur Daniel Darc et l’artiste Joël Hubaut avec qui Lydie Jean-Dit-Pannel collabore régulièrement et à qui elle rend hommage dans la seconde photographie, « Home CLOM (Hommage à Joël Hubaut) » (2010). Dans ses œuvres, Hubaut se sert de l’épidémie et de la contamination comme outils pour construire une réflexion sur l’art et la société, notamment en questionnant le choix des couleurs.
Une grande douceur traverse l’ensemble de l'œuvre de Lydie Jean-Dit-Pannel, une poésie immense, une pudeur, une forme de modestie dans sa timidité. A la douleur, que l’on devine profonde chez elle, répond un débordement d’amour. Son rapport quasi obsessionnel à la collection est tangible dans les centaines de fiches « Do not disturb » occupant un mur entier du long couloir d’entrée du musée, pour composer la pièce « Chambre à louer » (2000 – 2020). Sous-titrée : « l’intimité du monde », elle rappelle que nous n’en sommes que les locataires.
Mettre l’image en mouvement
Les premiers travaux témoignent de son apprentissage de la vidéo et de son rapport à la collection et la culture pop. Déjà, la question du sublime et de l’effroyable apparaît essentielle. La beauté du monde ne va pas sans sa brutalité. Lors d’une résidence en Chine, elle s’invente un Tai Chi entre humour et poésie, à partir des postures d’une centaine de figurines et crée la vidéo installation « Positionnez-vous » dans laquelle résonne l’influence burlesque. « Tout va bien » rend hommage à l’artiste allemand Wolf Vostell (1932 – 1988), pionnier de l’art vidéo. Lorsqu’elle était étudiante aux Beaux-arts de Dijon, Lydie Jean-Dit-Pannel lui écrivait chaque jour. Après une centaine de lettres sans réponse, elle finit par recevoir de sa part une carte postale au revers de laquelle étaient écrit ces simples mots : « Tout va bien ». Des années plus tard, elle se rend en pèlerinage au Musée Vostell à Malpartida (Extremadura), en Espagne, que sa veuve gère comme un temple. Elle pose en odalisque sur une voiture en béton, se met littéralement à nu - au sens propre comme au sens figuré - sur la sculpture. « L’auto devient socle, le corps vivant un ready-made[2] ». La courte vidéo « LIBRE » (2015, 20 secondes) s’inspire de la série britannique « Le prisonnier ». Lydie Jean-Dit-Pannel n’y prononce qu’une seule phrase face caméra : « Je suis une femme libre » qui, dans la répétition constante de la boucle vidéo, devient aliénante.
Le bruissement du Monarque
« Il y a 15 ans, j’ai rencontré à l’insectarium de Montréal la trajectoire du papillon monarque. Un papillon de moins d’un gramme capable de franchir près de 4000 kilomètres afin de se reproduire et d’assurer la survie de son espèce. Un voyage panaméricain. Un déplacement de masse par-dessus des frontières. Un aller-retour Canada / Mexique chaque année[3] ». Depuis 2004, Lydie Jean-Dit-Pannel fait de son corps une œuvre à part entière, interrogeant l’image par le biais du tatouage. A chacun de ses voyages, elle se fait tatouer un papillon monarque femelle (Danaus plexippus), dont l’espèce se déplace par groupe de millions d’individus au cours des deux migrations annuelles, traversant la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique à l’automne et remontant vers le nord au printemps. Le monarque est le seul papillon migrateur. A la croisée de la planche anatomique et du planisphère, « ALIVE » (sérigraphie, 2018) positionne sur les endroits tatoués de son corps, les lieux de leur exécution qui sont autant de voyages. Le corps empapillonné de Lydie Jean-Dit-Pannel prend alors des allures de mappemonde. Ici, la terre est plate par pure convention. L’artiste explore une autre façon de faire de l’image en mouvement, en l’inscrivant dans le temps. « Mon corps fait partie de mes outils de travail. Je l’utilise pour faire des images. Particulièrement depuis ma rencontre avec le papillon monarque » dit-elle, précisant : « Mes tatouages et leurs répartitions sur le corps ont été pensés en un ensemble. Les papillons dialoguent avec les mots et les phrases ajoutées ‘au-dessous’. Ils conversent et m’inspirent des photographies, des vidéos, des performances[4] ». Un programme permet de suivre le périple migratoire des papillons monarques sur Internet. Les surveiller permet de les sauver, l’espèce est en voie de disparition. La rencontre avec le papillon illustre le geste de soin (dans le sens américain de « care ») qui caractérise l’artiste. « L’entomologiste » (photographie couleur, 2008) donne à voir l’artiste allongée sur une table de travail de la réserve du Museum national d’histoire naturelle à Paris, à la merci du chercheur entomologiste Jacques Pierre. La scène est suspendue à l’instant qui précède l’épinglage d’une espèce rare. Bientôt, elle fera partie des collections muséales. « Rien ne peut arrêter Lydie Jean-Dit-Pannel si ce n’est une immense aiguille qui la fige comme pièce de collection, aux côtés des milliers de choses qui constituent son œuvre[5] » écrivait Stephen Sarrazin dans le texte de l’exposition de la pièce à Tokyo en 2008. « L’ambigüité de l’étalage de papillon, à la fois acte de torture, protocole scientifique et geste de soin, permet ainsi à̀ l’artiste de placer l’humanité face à ses contradictions[6] » écrit très justement Florian Gaité dans le catalogue qui accompagne l’exposition. Dans la vidéo « Rien peut-être » (2008, 45 mn), l’artiste fait émerger un papillon monarque sur ses lèvres. L’instant d’après il s’envole déjà pour la grande migration. La vie et la mort du papillon monarque questionnent tout à la fois la migration, le cycle de vie et la transformation, trois thématiques chères à l’artiste.
En 2006, Lydie Jean-Dit-Pannel est l’une des invitées des rencontres internationales de la performance du Yucatan qui se tient à Mèrida au Mexique. Assise à une table de bras de fer, elle défie les passants le jour de la fête des morts. « La chica Mariposa » (la femme papillon), comme on la surnomme rapidement, organise simultanément des match de bras de fer dans plusieurs villages alentours. Ici, on se mesure à soi-même autant qu’aux autres. « Les yeux dans les yeux, la main dans la main. Une façon folle et intense de provoquer la rencontre, prendre le pouls du monde[7] » affirme-t-elle. L’installation « Arm in Arm Mèrida » donne à voir la vidéo-performance réalisée dans le cadre du festival, et sa mise en situation, qui est aussi une mise en abime, à travers la présentation du mobilier utilisé. Auparavant, tel un préambule nécessaire au voyage mexicain, elle avait engagé un bras de fer avec son père (« Arm in Arm », vidéo, 2006) et avec elle même (« Auto-bras de fer », vidéo). Œuvre titanesque, « Le Palangon », film-journal d’une durée actuelle de onze heures, est à la fois un carnet de croquis et un journal de bord, une collection de plans séquences, haïkus visuels et sonores, numérotés de 0 à l’infini. « L’objet sans fin, le projet à perpétuité de Lydie Jean-Dit-Pannel, Le Panlogon, navigue ainsi entre une captation brute d’un lieu, d’un événement chargé de potentialités, et l’acte de ciseler, ou d’extraire, trancher, là où il faut pour atteindre l’aura, l’épiphanie, la singularité d’une image-séquence, qui mène vers une quête du tout[8] ».
Alter ego
Une petite plateforme aménagée en saillie du mur compose le promontoire sur lequel se tiennent quatre-vingts figurines de King Kong composant une meute déchainée aux visages déformés par la colère, au point levé exprimant la détermination dans leur combat. Au-dessus, une photographie représente l’artiste, nue, pieds et poings liés à un gigantesque Ravenala madagascariensis, un arbre du voyageur, dix mètres au-dessus du sol. Lydie Jean-Dit-Pannel se réapproprie les mythes et les héroïnes pour les mobiliser dans ses œuvres et ses combats. Elle est ici Faye Wray incarnant le personnage d’Anne Darrow dans « King Kong » (1933) de Merian Cooper et Ernest Schoedsack, offrande à la chair blanche destinée à calmer la colère sauvage du Roi des animaux. L’image est trompeuse et hautement politique. King Kong et Anne Darrow sont tous deux des victimes, entre racisme primaire et domination masculine. Avec la découverte, au détour d’une toile[9] de Jacques-Louis David (1748 – 1825), du personnage de Psyché, guerrière solitaire porteuse de « sa malédiction, sa résistance à l’ordre établi, son courage, sa persévérance », auquel l’artiste s’identifie immédiatement – le nom signifie « âme » et « papillon » en grec –, l’incarnation de l’alter ego devient durable. « Aventurière solitaire, amoureuse blessée et guerrière survivante, Psyché s’est imposée comme mon alter-ego artistique. Cette héroïne antique pensive, est devenue mon égérie. Personnification de l’âme, dans toute son iconographie Psyché est représentée sous sa forme d’humaine cherchant à retrouver l’amour d’Eros, ou sous sa forme de déesse, avec des ailes de papillon[10] » écrit l’artiste en précisant : « A travers elle, dans le sillon de la figure du papillon Monarque je dis mon désir d’amour et de voyage, comme ma déception face à une humanité qui court à sa perte ». Psyché, son double, est une combattante qui parcourt la planète pour constater les désastres et montrer les effets directs qu’ils ont sur la planète. La série « 14 secondes », durée de pose dont elle dispose pour se photographier, compose un tour de France des centrales nucléaires devant lesquelles Psyché est représentée allongée au sol, face contre terre, inerte, morte. L’artiste n’hésite pas à se mettre en danger, se couchant dans des champs à la toxicité affolante, s’immergeant dans des points d’eau contaminés mais devant aussi faire face aux nombreux policiers, gendarmes et agents de sécurité privés en charge de la protection des sites nucléaires. Psyché met son corps là où il ne faut pas. Le danger avance parfois masqué. Psyché, reprend l’exacte même position allongée au sol, nue, face contre bitume ici dans la photographie « Aux Champs Elysées », réponse à la violence inouïe d’une politique néolibérale dont les effets dévastateurs ne sont jamais directement imputables à ceux qui l’ont mis en place. Depuis le début du mouvement social des Gilets Jaunes, Lydie Jean-Dit-Pannel est présente à quasiment chaque manifestation. Son engagement, ses convictions, son courage, forcent l’admiration et le respect.
No surrender
Lydie Jean-Dit-Pannel remplit l’une des salles du musée de copeaux de bois de manière aléatoire si bien que l’épais tapis qu’ils forment parait onduler. Des coquilles de noix affublées de morceaux de papiers triangulaires tiennent tant bien que mal, en équilibre sur ce sol instable. L’installation prend une autre dimension lorsque son titre apparaît. « Méditerranée » (2020) rappelle qu’en moyenne « 3500 personnes par an meurent noyées en Méditerranée en tentant d’échapper à la violence qui ravage leurs pays ». Trois mille cinq cent petits bateaux à voile, comme elle les figurait enfant, perdus dans l'immensité de la mer de copeaux, cette poésie glaçante témoigne du cynisme et de l'indifférence d'une Europe qui regarde passer les cadavres des personnes qu'elle aurait dû accueillir. Ainsi va l'humanité. Dans la salle d’à côté, de grandes photographies piquées au vinaigre donnent à voir des animaux en voie d’extinction, ici l’ours polaire, là l’éléphant. Sur le mur, s’affiche un très long chiffre composé de plaques de numéros de parcelles forestières : un milliard deux cent quarante cinq millions huit cent soixante dix huit mille huit cent trente (1,245,878,830), soit le décompte des animaux morts au cours des gigantesques incendies qui ont ravagé l’Australie l’hiver dernier. Un zoocide .
Voyageuse attentive aux bruits du monde, tour à tour femme papillon et aventurière solitaire, Lydie Jean-Dit-Pannel a le goût des métamorphoses qui défient la mort. Son œuvre tout entière s’envisage comme une vanité, à l’instar de la composition de « l’entomologiste ». « Mon corps et moi avons entamé une migration dont le papillon monarque est l’aiguilleur ». En se faisant le réceptacle d’une espèce presque éteinte, elle en garde le souvenir, en prolonge l’existence jusqu’à sa propre mort. La peau de Lydie Jean-Dit-Pannel est devenue un refuge autant qu’un lieu de résistance pour quarante-sept papillons monarques à ce jour. Empreinte mémorielle, elle est aussi un espace de revendications poético-politique. L’artiste est une femme en colère. Ce qui est étonnant, c’est que tout le monde ne le soit pas. Traversée par des sentiments contraires comme cette fascination éprouvée face aux centrales nucléaires, cathédrales majestueuses de notre temps, alors même qu’elle en connaît la haute toxicité, elle fait de ses œuvres le miroir des contradictions schizophréniques de l’humanité. En montrant la vénéneuse beauté du monde, elle tente sans relâche de confondre les faux-semblants du sublime pour mieux les révéler. En performant sa révolte avec cette force fragile qui la caractérise, elle incarne un visage que l’on croyait, en France, mythologique, celui de l’artiste viscéralement engagée, lanceuse d’alerte écorchée et pourtant infatigable. « Un artiste ne fait jamais les choses par raisonnement logique, mais uniquement par pure nécessité » disait le photographe américain Dave Heath. Il y a chez Lydie Jean-Dit-Pannel quelque chose qui la transcende, un moteur de convictions qui à lui seul justifierait que l’on se réconcilie avec les humains. « Born like this, born into this » (Né comme ça, né la dedans), ces quelques mots de Bukowski tatoués à même la peau, résonnent comme le difficile constat, entre enchantement et amertume, de la réalité humaine. « Mon message, s’il faut en avoir un, serait d’être vivant quoi qu’il arrive. Garder autant que cela est possible cet état si grisant de se sentir en vie. « ALIVE » Je pourrais bien en faire mon épitaphe![11] » précise Lydie Jean-Dit-Pannel qui est bien vivante et dont on ne se rend pas assez compte à quel point cela est bénéfique à la marche du monde.
[1] Locution latine signifiant « souviens-toi que tu vas mourir », formule du christianisme médiéval dont les représentations exprimaient la vanité de la vie humaine. Aux Etats-Unis, dans les communautés de motards, l’arborer sur soi protègerait de la mort. C’est également le pictogramme international signalant tout produit chimique toxique.
[2] Jean-Paul Fargier, dans « les Anarchistes » n°13, mars 2005.
[3] Lydie Jean-Dit-Pannel, ALIVE, 2018, texte introductif au site internet de l’artiste, http://ljdpalive.blogspot.com Consulté le 29 juillet 2020.
[4] « A tire d’aile », entretien de Lydie Jean-Dit-Pannel par Clémentine Calcultta, Boom Bang, janvier 2014, https://www.boumbang.com/lydie-jean-dit-pannel/ Consulté le 29 juillet 2020.
[5] Extrait d’un texte de Stephen Sarrazin, Tokyo, novembre 2008
[6] Florian Gaité, avant-propos du catalogue de l‘exposition rétrospective « ALIVE. Lydie Jean-Dit-Pannel », Musée des Beaux-arts de Dole, du 21 février au 30 août 2020, 158 pp., conception graphique : Atelier Tout va bien, Rennes, 2020, p. 10.
[7] « A tire d’aile », entretien de Lydie Jean-Dit-Pannel par Clémentine Calcultta, Boom Bang, janvier 2014, https://www.boumbang.com/lydie-jean-dit-pannel/ Consulté le 29 juillet 2020.
[8] Stephen Sarrazin, La collectionneuse, Tokyo, avril 2010.
[9] Jacques-Louis David, « Psyché abandonnée », huile sur toile, vers 1795, (collection particulière), tableau considéré comme perdu jusqu’à sa réapparition en 1991. Il est présenté publiquement à l’occasion de l‘exposition « L’antiquité rêvée » au Musée du Louvre en 2010.
[10] Lydie Jean-Dit-Pannel, ALIVE, 2018, texte introductif au site internet de l’artiste, http://ljdpalive.blogspot.com Consulté le 29 juillet 2020
[11] « A tire d’aile », entretien de Lydie Jean-Dit-Pannel par Clémentine Calcultta, Boom Bang, janvier 2014, https://www.boumbang.com/lydie-jean-dit-pannel/ Consulté le 29 juillet 2020
_______________
Lydie Jean-Dit-Pannel sort de sa chrysalide
« ALIVE » une rétrospective au Musée des Beaux-Arts de Dole jusqu’au 30 Aout 2020
Un essai de Jean Loh, L'Oeil de la photographie
Dès l’entrée de son extraordinaire exposition au Musée des Beaux-Arts de Dole, on croit reconnaitre le terrain familier et exaltant de la pure tradition des autoportraitistes féminines, et on ne peut cesser de penser à Francesca Woodman, à Nan Goldin, à Cindy Sherman, et surtout à Sophie Calle, dont l’omniprésence se manifeste à travers une photo de Lydie couchée sur la tombe de son auteur-poète fétiche Charles Bukowski.
Lydie Jean-Dit-Pannel, porte son nom de famille peu banal comme un nom de guerre, ce qui nous conduit à consulter le site politologue.com selon lequel « entre 1891 et 2000, il y a eu 32 naissances de personnes portant le nom de famille JEAN DIT PANNEL en France. Avec une espérance de vie moyenne de 80 ans, nous estimons qu'il y a environ 24 personnes nées en France » avec ce nom.
« Artiste plasticienne française née le 9 juillet 1968 à Montbéliard » selon Wikipédia, Lydie serait donc aujourd’hui l’une des 24 rares membres du clan des Jean-Dit-Pannel en France. Wikipédia poursuit : « Elle vit et travaille entre Dijon et Malakoff. Elle enseigne à l'École nationale supérieure d'art de Dijon depuis 2012. Elle questionne l'image depuis les années 1980 au travers de projets au long cours. » Née dans les échos et les relents de gaz lacrymogènes des manifestations de Mai 1968, Lydie possède une graine de rebelle, une battante donc, comme on le voit avec l’affiche de la rétrospective « Alive », intitulée « Auto-bras de fer », dans l’entrée du musée trône effectivement une véritable table de bras de fer, invitant le public à se mettre au combat. Car il s’agit d’un bras de fer que mène Lydie depuis des années, seule contre des moulins nucléaires et autres lieux toxiques…
Elle partage des préoccupations communes avec ses quatre aînées citées plus haut qui sont, elles, entrées dans le Hall of Fame des travaux entièrement centrés sur soi-même, qui ne sont pourtant pas de simples autoportraits mais d’autoreprésentations à partir de leur vécu, se servant de leur corps comme un accessoire indispensable de leurs narratifs, un vocabulaire de leur propre langage, on pourrait dire, dans le cas de Lydie, avec même sa propre peau. L’expression française qui vient à l’esprit c’est « payer de sa personne », avec une connotation d’autosacrifice, car c’est son corps que Lydie offre sur l’autel de la lutte contre les lieux toxiques, comme en anglais on dit « put yourself on the line », son corps pas piqué des hannetons mais « piqué » de plusieurs dizaines de tatouages de papillons monarques, taille grandeur nature, son corps trace une véritable ligne claire, comme une barrière de défense de l’entomofaune menacé, sur fond de paysages défigurés par la mort, l’industrie, les pesticides, le pétrole, le nucléaire, les déchets toxiques, tout ce qui tue les papillons, les abeilles et des millions d’insectes et des milliards d’oiseaux dans le monde au cours des quatre dernières décennies.
Comme le témoigne son très bel autoportrait « la fille à la chouette », un baiser tendre de l’oiseau couché sur le visage de la belle endormie, oiseau totem de la transition du monde des vivants avec le monde de l’au-delà. Pour mener son long combat, Lydie parcourt la France et le monde depuis 2005, collectionnant les pièces à conviction, après les Etats Unis, l’Ukraine (Tchernobyl) et le Japon (Fukushima), elle effectue entre 2015 et 2016 le tour de France nucléaire, en solitaire, la France d’où la série « 14 Secondes » qui est la durée du retardateur de son appareil photo monté sur trépied, « 14 secondes » c’est le temps nécessaire pour se déshabiller, se jeter au sol, le ventre froid, arrêter sa respiration pour la pose. Il y a bien sur d’autres clichés réalisés avec des complices. Mais ces 14 secondes me font penser au photographe chinois Ou Zhihang, mention honorable du prix World Press Photo 2010 pour des sujets contemporains, qui a passé 20 ans pour sa série d’autoportrait nu, faisant des pompes, devant des bâtiments ou des lieux à scandale en Chine, sa posture de guetteur, son corps dressé en appui sur ses mains devient une flèche pointée en direction du lieu incriminé.
Mais le corps de Lydie Jean-Dit-Pannel, allongé sur le ventre comme un cadavre inerte jeté là, en guise de balise de signalisation, comme un cadavre jeté là, un objet d’étude forensique, le prix payé de sa personne c’est aussi la collection des radiations devant les 37 sites nucléaires français, plus les sites en Belgique, Suisse, en Angleterre et Ecosse et aux Etats Unis, sans compter ses visites à Tchernobyl et de Fukushima. Il n’y a pas que les atomes qui l’attirent, ici elle est couchée au-milieu de décharges d’ordures, là elle est couchée au milieu des troncs d’arbres abattus. Partout elle s’expose aux tracas des gardiens de sécurité et autres regards indiscrets. Lydie va jusqu’à incarner un papillon monarque femelle pour se faire piquer par un authentique entomologiste-chercheur Jacques Pierre, sur la table de travail au cœur de la réserve du Musée National d’Histoire Naturelle de la ville de Paris. « L’image suspend le moment qui précède l’épinglement d’une espèce rare, d’après Lydie, la composition est inspirée de "L’anatomiste", une peinture de Gabriel Von Max (1869). » Charles Bukowski lisait en public en 1974 un poème sur le « Style » : « le style est la réponse à tout, une nouvelle façon d'approcher une chose insipide ou dangereuse. Faire une chose insipide avec style est préférable à faire une chose dangereuse sans style. Faire une chose dangereuse avec style c’est ce que j'appelle l’art. ».
Grande collectionneuse, Lydie a ramené des milliers de signes « ne pas déranger » « do not disturb » qu’on trouve derrière les portes des hôtels du monde entier pour former une monumentale installation murale. Sa plus belle collection se trouve sur son propre corps, ayant appris la disparition massive des papillons monarques à l’insectarium de Montréal en 2003, elle commence à se faire tatouer un papillon monarque quand elle voyage par un tatoueur local. Arrivée en 2019, sa collection comprend 47 tatouages venant de : Québec, Nîmes, Paris, Dijon, Londres, San Francisco, Las Vegas, Cheyenne, Genève, Marseille, Caen, Copenhague, Paris, Mexico, Acapulco, Madrid, Budapest, Dijon, Merida, Chiang Mai, Bangkok, Karlsruhe, les 20 ans du Wharf, Cape Canaveral, Miami, Bourges, Belfort, Tokyo, Kuching, Kuala Lumpur, Montréal, Mexico, Gdansk, Almeria, Roswell, Los Angeles, Austin, Saint-Pierre (La Réunion), Xalapa, Hiroshima, Kiev, Paris, Moscou, Liège, Naples, Vladivostok et Chicago. Le projet est interrompu en 2020 en raison de la pandémie Covid-19.
En dehors de la photographie, signalons aussi une remarquable installation, un hommage de Lydie Jean-Dit-Pannel aux Boat People : l’installation « Méditerranée » est réalisée avec 3,500 petits bateaux faits à partir de copeaux de bois, coquilles de noix, allumettes et papier. La légende dit qu’en moyenne 3,500 personnes périssent par an en Mer Méditerranée en tentant d’échapper à la violence qui ravage leurs pays. Un cartel mentionne les remerciements à L’Huilerie de Briennon sur Armançon, Suguenon-Schultz en Bourgogne Franche-Comté.
Jean Loh
Mes remerciements au Musée des Beaux-Arts de Dole et à Lydie Jean-Dit-Pannel pour les photographies et les réponses à mes questions.
L’exposition « ALIVE » de Lydie Jean-Dit-Pannel est prolongée jusqu’au 30 Aout 2020. Musée des Beaux-Arts de Dole - 85 Rue des Arènes, 39100 Dole Tel : 03 84 79 25 85
_______________
Lydie Jean-Dit-Pannel, Alive.
Florian Gaité 2020
Catalogue de l'exposition rétrospective au Musée des beaux-Arts de Dole
Alive. Son titre sonne comme un cri. C’est un leitmotiv. Lydie Jean-Dit-Pannel fait de l’art pour chaque jour hurler qu’elle est en vie. Plas-ticienne, vidéaste et performeuse, elle met sa création au service d’un monde qui découvre ses infinies richesses au moment même où il risque de les perdre. Amoureuse de la nature, elle lance des alertes pour sortir ses contemporains de leur anesthésie, espérant qu’ils s’alarment avec elle de la disparition des animaux sauvages, des violences socio-politiques ou de la menace du nucléaire. Son oeuvre est une lutte passionnée, offerte en partage, un cri du coeur fou et engagé qui célèbre la beauté du monde sans en occulter la brutalité.
Pensée dans le prolongement de l’exposition La Fin des jours au Musée de Dole qui en constituait le prologue, la première rétrospective de l’artiste fait retour sur trois décennies de créations, de débordements et d’obsessions, durant lesquelles elle a parcouru le monde, accumulé mots, images et objets, rencontré des militants au coeur jaune et investi des territoires blessés. Entière et déterminée, elle sensibilise aux maux d’un monde sur lequel nous avons de moins en moins prise, tirant sa force de frappe de la simplicité de ses moyens d’expression. Héritière de la beat generation et de la contre-culture punk, elle développe une poésie frontale, aux couleurs vives, aux formes ludiques. Ses matériaux sont modestes et ses références populaires : son adresse tape vite et fort, elle ne s’encombre d’aucun détour. La vie après tout s’éprouve dans la chair plus qu’elle ne se prouve dans de longs discours.
Lydie Jean-Dit-Pannel a fait de son corps le lieu de toutes ses métamorphoses. Ses combats tatoués dans la peau, elle est devenue tour à tour la Femme-Papillon et la guerrière Psyché, s’est identifiée aux héroïnes d’Alien et de King Kong, a pris la tête d’une armée de pâquerettes mutantes et parlé aux arbres du monde en entier. Un oiseau bleu dans le coeur, nourrie aux mots de Charles Bukowski, de Daniel Darc et de David Bowie, l’aventurière s’est imposée comme une artiste puissante et déterminée, qui ne passe par l’autofiction que pour s’imposer dans la réalité.
No surrender. Ne jamais se rendre, ni abandonner. Combattre les forces destructrices d’un capitalisme débridé comme la bêtise humaine qui l’autorise. Toujours trouver des raisons de croire en des lendemains qui déchantent, car ce qu’il y a de puissant dans la catastrophe, c’est quand celle-ci donne l’énergie de la révolte, quand elle force à prendre soin de ce qui menace de disparaître. Lydie Jean-Dit-Pannel tire sa rage de vivre de la menace qui pèse sur l’existence, comme s’il s’agissait de trouver la vie dans la mort et dans l’art un moyen d’y résister.
CHRYSALIDE ET CHRYSANTHÈME
Don’t try. L’épitaphe de Charles Bukowski est empreinte d’une ironie que Lydie Jean-Dit-Pannel a adoptée comme principe directeur de son oeuvre. Chez elle, la dialectique du monde, sa façon d’être à la fois source d’émerveillement et scène de sa désillusion, commande une approche à double entrée, toujours contrastée. L’optimisme cède souvent le pas à la crainte et la contemplation à la colère. C’est que son constat amer ou amoureux accompagne un fatalisme qui réclame d’elle de s’affirmer sans faiblir. « Born like this, born into this », la poésie bukowskienne incrustée dans la peau, elle s’est bâtie le profil d’une libre penseuse pour qui être artiste ce n’est pas tant se faire une place dans le milieu que prendre position dans le monde. Et tant mieux si celle-ci a le goût de la contestation. Dans ce qu’elle considère a posteriori comme son premier autoportrait, le dessin d’enfant À contre-courant (1973) la dépeint déjà en un oiseau à l’envolée solitaire, qui vole à rebours de la nuée, préférant affronter la vie de face plutôt que de se laisser porter par le vent. Aussi solide et dure qu’à fleur de peau, elle porte elle aussi dans son coeur le bluebird de Bukowski dont elle embrasse la tombe (Ashes to Ashes. A tribute to C. H. Bukowski, 2010), une manière pour elle d’y célébrer la vie.
Outre Hank, son panthéon est habité par une foule d’êtres héroïques, issus du cinéma, de l’histoire de l’art, de la mythologie ou du monde animal. Elle s’entoure ainsi très tôt des héros de sa jeunesse et n’hésite pas à forcer le destin. Enfant de Fluxus, elle rencontre Ben Patterson, Joël Hubaut, Yoko Ono, et entretient une correspondance à sens unique avec Wolf Vostell, l’un des pères de l’art vidéo, qui ne lui répond qu’au bout d’une centaine de lettres. Par deux fois, elle pose en odalisque sur une voiture bétonnée de ce dernier dans le musée qui lui est dédié en Espagne, devenue un autel sur lequel elle se livre en offrande (Tout va bien. A Tribute to W. Vostell). Avec une même charge érotique, elle investit l’installation de Walter De Maria au Nouveau-Mexique, The Lightning Field, qu’elle transforme en scène de pole dance à ciel ouvert, où risque de s’abattre la foudre. Elle qui crie casse-cou en est un. Son hommage peut aussi prendre la forme d’une identification franche à des figures d’autorité et de puissance. Elle hurle ainsi sa condition de femme indépendante en se prenant pour Patrick McGoohan (Libre), se retrouve en Osa Johnson, l’aventurière passionnée et artiste, ou Fitzcarraldo, l’utopiste qui voulait construire un opéra en pleine jungle dans le film éponyme d’Herzog. Le lieutenant Ripley d’Alien, interprétée par Sigourney Weaver, ou encore Fay Wray qui campe le rôle d’Ann Darrow dans King Kong constituent d’autres doubles. Le roi des singes fait d’ailleurs l’objet d’une collection de figurines (Mes rois) qui, associée à une série d’insectes naturalisés dont les femelles sont connues pour être des guerrières (Mes Héroïnes) et à des pâquerettes récoltées sur le site de Seveso pollué après un accident chimique (Mon armée), grossissent les rangs de son armée personnelle. En se nourrissant de chacun d’eux, Lydie fait sa mue et sort de son cocon.
MILLE PLUTÔT QU’UNE
Dans l’art vidéo elle a trouvé son langage. Le rythme du montage, la frontalité de la composition, la recherche d’une poétique du visible guideront ses choix. Dans ses premières pièces, elle procède par autofilmage pour faire de son corps une figure critique du féminin. Nue, allongée et immobile, filmée de surplomb, en traveling par la caméra (Tu vois), elle n’est pas encore tatouée mais s’affiche comme un écran charnel faussement neutre, offert au regard scrupuleux, à l’observation pour interroger les conditions de sa propre visibilité. Projet-fleuve de sa période étudiante, Mille et tre réunit cette fois une collection de portraits instantanés d’autres femmes. La vidéo renvoie à un épisode du Don Giovanni de Mozart dans lequel Leporello met en garde Donna Elvira de l’inconstance de son maître en révélant le nombre de ses conquêtes en Espagne. Lydie apparaît en gros plan, en fond, elle compte chacune des modèles et s’ajoute finalement à la liste. Vulnérables par le cadrage de plan choisi, resserré sur les visages et les épaules dénudées, les victimes potentielles du séducteur apparaissent néanmoins en position de force. Ce cadrage devenu signature est aussi employé dans J’ai rêvé que j’étais toi, une vidéo expérimentale inspirée d’un rotorelief de Duchamp, qui met en scène la fusion androgyne de l’artiste et d’un complice, tous deux engagés dans un mouvement spiral. Lydie Jean-Dit-Pannel connaît avec elle son premier succès, et sa première métamorphose.
Avec Positionnez-vous, la nécessité de trouver sa place devient un impératif, adressé à qui veut l’entendre. De retour de Chine en 2000, elle interprète les postures d’un tai-chi-chuan fictif, qu’elle réinvente en prenant pour modèle des jouets d’enfants, des figurines de cow-boy, de Mary Poppins ou des Beatles. Dans cette démonstration parodique de l’art martial chinois, Lydie Jean-Dit-Pannel enchaîne les poses, substituant au référentiel naturaliste (animaux, plantes) des modèles mainstream, figures stéréotypées de la culture populaire. Elle moque ici la façon dont la célébration des éléments cosmiques a laissé place au spectacle, souvent piteux, de l’humanité. Son regard critique est néanmoins toujours nuancé par la lueur d’espoir qui fait miroiter sa rétine. Une ambivalence que l’on retrouve à l’oeuvre dans le pictogramme Zone de rassemblement qui ironise sur l’impossibilité d’une évacuation mais peut aussi se lire comme une invitation à la solidarité.
De série de portraits en suite de poses, l’accumulation est sa méthode. Collectionneuse aguerrie depuis l’enfance, colleuse forcenée d’images dans ses journaux d’adolescente, Lydie Jean-Dit-Pannel a toujours eu la manie des multiples. L’antichambre réunit des grigris, gadgets et bibelots amassés au fil des années qui ensemble dressent une sorte de curriculum vitae de l’artiste. Conservés dans des coffres d’entomologiste, souvenirs de voyages, autocollants militants, figurines, badges, porte-clefs, dés, boîtes d’allumettes ou de médicaments donnent des indices de ses engagements comme de ses pérégrinations au Mexique, à Roswell ou en Russie. Dans la série de collages Road to nowhere, les images découpées dans des encyclopédies et des manuels éducatifs trahissent déjà des obsessions qui vont devenir ses sujets de prédilection : la catastrophe, le lien à la nature ou la défense de la cause animale. No surrender, le poing levé, l’artiste sait qu’il faut souvent répéter pour se faire entendre.
LE BRUISSEMENT DES PAPILLONS EST TOUTES LES LANGUES
En 2003, Lydie Jean-Dit-Pannel rencontre le papillon monarque à l’insectarium de Montréal. Symbole de la vie éphémère et de la puissance esthétique de la nature, il est aussi devenu à ses yeux le martyr d’un monde sacrifié sur l’autel de la croissance et de la productivité capitalistes. Vanité parmi les vanités, menacé de disparition, l’insecte est aussi un glorieux survivant, qui doit accomplir un périple de près de 4 000 km pour faire persévérer son espèce. Chaque année en effet, ce sont des millions de spécimens qui migrent à travers l’Amérique pour trouver un lieu de reproduction, une performance qui fascine Lydie Jean-Dit-Pannel au point de s’identifier à ce voyageur déterminé, qui traverse le monde pour défier la mort. Depuis la vidéo Innocente (1997) jusqu’au diptyque Rien peut-être / Highway to L. (2008-2009), réalisé entre le Canada et le Mexique, au départ et à l’arrivée de son parcours migratoire, le papillon est intimement associé au corps de l’artiste. Qu’elle fasse éclore une chrysalide sur ses lèvres (image de la libération de l’âme selon une légende mexicaine), qu’elle laisse le lépidoptère virevolter autour de son visage ou un essaim caresser son corps nu avec son murmure, Lydie Jean-Dit-Pannel se sent avec eux pousser des ailes (Breath).
OEuvre-fleuve réunissant plus de dix ans (2001-2012) de recherche d’images vidéo, le Panlogon est aussi la matrice des projets de l’artiste au cours de cette période. Elle l’imagine comme un film où se parleraient toutes les langues, qui suivrait les déplacements du concierge de Babel d’une chambre de la tour à l’autre. Le film, qu’elle considère comme le « nerf de [sa] guerre », est un journal et un carnet de croquis, qui réunit des plans séquences plus ou moins courts, numérotés à l’infini, un chaos organisé qui fait état de réflexions en cours et d’épisodes de vie, qui mélange fragments sonores et haïkus visuels. Le Panlogon compile toutes les séances de tatouages de l’artiste sur cette période (La Collection) et les nombreux voyages à travers la planète auxquels ils correspondent. L’impressionnante installation Chambre à louer, des centaines de plaques de porte « Do not Disturb » réparties sur toute la surface du mur, en portent la trace tout en rappelant que notre maison-monde n’est jamais qu’une propriété provisoire, une maison commune que l’accumulation des panneaux signalétique place en situation d’urgence. De la Chine au Canada, du Maroc à La Réunion, des États-Unis à la Jordanie, Lydie Jean-Dit-Pannel explore ce monde dont la disparition du Monarque annonce peut-être la fin.
LA CHICA MARIPOSA A LES BRAS MUSCLÉS
En voie d’extinction, les Monarques trouvent avec les tatouages de Lydie Jean-Dit-Pannel le moyen d’une résistance symbolique. Réalisées à chacun de ses voyages, comme un rituel et un hommage, les reproductions de Monarque femelle à l’échelle 1, quarante-sept à ce jour, recouvrent tout son corps. Sa collection dans la peau, elle inscrit le souvenir contingent de ses pérégrinations comme les existences éphémères des papillons dans la durée de sa propre vie. Les performances So psyché, Les 20 ans du Wharf et Rudérale, dans lesquelles l’artiste lit ses propres textes en forme de journal en même temps qu’elle se fait tatouer, montrent en totale synchronisation l’inscription de la trace et la mémoire à laquelle celle-ci renvoie. Le tatouage est un lien qui la connecte aux autres (dans L-INK, elle film une ligne continue d’avant-bras tatoués) mais encore et surtout à l’insecte, dont elle a partagé le trajet d’une vie. Au Mexique, celle qu’on a baptisée la « Chica Mariposa » (la Femme-Papillon) a pris des forces. La sidération et l’émerveillement ressentis au moment de la rencontre avec le papillon a laissé place à une colère motrice, qui a conforté son engagement et donné une image à ses luttes. Le membre tatoué, piqué, ailé (Cause I’m free), elle s’engage dans des bras de fer avec son père (Arm in Arm), avec elle-même (Auto-bras de fer) ou avec des inconnus, en mode lucha libre en pleine fête des morts (Arm in Arm Merida, 2006). Par la confrontation silencieuse, elle performe sa révolte contre la disparition annoncée du lépidoptère.
Les tatouages et leurs dessins compilés dans des boîtes entomologiques (Collection, Masters), Lydie Jean-Dit-Pannel déploie une esthétique à la fois clinique et naturaliste. La mise en scène de la photographie Entomologiste (2008) est inspirée par un tableau de Gabriel von Max (L’anatomiste, vers 1869) dans laquelle le médecin surplombe du regard le cadavre diaphane d’une jeune fille, sa main empoignant le haut du linceul. Allongée sur une table du Museum d’Histoire Naturelle de Paris, Lydie Jean-Dit-Pannel attend elle aussi d’être examinée et ajoutée à la collection. Pointant une insigne démesurée sur sa poitrine, non sans évoquer un pieu dans le coeur de Dracula, il agit avec la précision et la précaution requises lorsque l’on épingle un spécimen rare. L’ambiguïté de l’étalage de papillon, à la fois acte de torture, protocole scientifique et geste de soin, permet ainsi à l’artiste de placer l’humanité face à ses contradictions. En épinglant un couple homme / femme, double des corps idéalisés de la plaque Pioneer, embarquée à bord de deux sondes spatiales du même nom et repris sous forme de silhouette dans la sonde Voyager, Lydie Jean-Dit-Pannel semble désigner des coupables et les clouer au piloris (Voyageurs). Mais la reproduction du même geste dans une sérigraphie la représentant (Alive), où elle cartographie ses propres lignes de vie, ouvre sur une lecture plus nuancée : l’insigne y apparaît davantage comme l’équivalent d’une aiguille d’acupuncture, en charge de rééquilibrer les énergies et d’apaiser les douleurs du corps.
PSYCHÉLYDIQUE
Une nouvelle séquence dans son oeuvre coïncide avec l’apparition d’une autre figure post-chrysalide, une héroïne mythologique représentée avec des ailes, dont la nature divine vient se sur-imprimer au devenir-insecte de l’artiste. Psyché fait sa première apparition officielle dans Cela avait commencé par un accident, une vidéo réalisée en résidence sur l’île de La Réunion en 2014. L’accident originel évoqué, cet événement déviant qui inaugure en même temps qu’il fait rupture, est en réalité double. Son premier sens renvoie au désastre de Fukushima. Peu après le tsunami et ses conséquences sur la centrale japonaise, motivée par un désir impérieux d’agir, Lydie Jean-Dit-Pannel fouille dans ses papiers à la recherche d’un prospectus de la Croix-Rouge et tombe sur une illustration de Psyché Abandonnée par Jacques-Louis David. Cette image froissée, reléguée au fond d’un tiroir, lui apparaît comme celle d’une humanité déchue et désespérée, abimée comme on ressort d’un abîme. Lydie Jean-Dit-Pannel décide alors de motiver le fortuit, de donner à cette coïncidence des représentations la force d’une nécessité, et de faire de Psyché sa réponse à la catastrophe nucléaire. Nue sur un rocher, les bras repliés vers son visage, les mains croisées, le regard fixe, l’héroïne de David adopte une position de recueillement. Mais là où le peintre lui confère des traits de désarroi et de détresse, la plasticienne lui donne une expression réflexive et consternée, une mine douce et humaine, bien que déconfite et attristée (So Psyché). Retirée du monde, isolée à une distance critique, silencieuse et déterminée, sa version de Psyché répond aux non-dits, à l’omerta assourdissante des responsables politiques et médiatiques par un silence plus signifiant encore. Personnifiant l’esprit, l’élan vital comme l’amour désespéré, l’héroïne antique devient son alter ego, elle se reconnaît dans sa persévérance, son esprit d’aventurière et sa sensibilité exacerbée.
Avec une ironie certaine qui n’en atténue pas la poésie, Psyché, seule sur son îlot, donne chair à une humanité prise à son propre jeu, victime des ravages d’une énergie mortifère. Elle est caressée du souffle du zéphyr, le vent qui porte secours à Psyché, qui renouvelle sans doute moins ici l’oxygène qu’il ne véhicule des particules toxiques. À travers elle, Lydie Jean-Dit-Pannel lutte moins directement contre la nucléarisation du monde que contre sa banalisation dans les consciences collectives, contre le vide informatif qui pare la catastrophe des habits du progrès. Identifiée à celle qu’Apulée décrit dans les Métamorphoses comme une âme vagabonde et tourmentée, une amoureuse nomade lancée à la conquête d’Éros, la plasticienne arpente les centrales nucléaires, les usines de traitement des déchets ou les terrains d’essais atomiques, à Hiroshima, Tchernobyl, Pripiat, le désert du Nevada, La Hague ou Nogent-sur-Seine, en quête d’un réconfort qui ne vient pas. Abandonnée sur ces sites sensibles, la sentinelle recense ces lieux intoxiqués pour lutter contre la désertion du vivant, le recul de la nature et la déshérence de la pensée critique. Avec les Visites, Lydie Jean-Dit-Pannel manifeste son empathie pour son alter ego en prenant des selfies dans les musées devant des sculptures qui représentent Psyché. Au premier plan, sa main tente de toucher en vain son corps de marbre dans un geste qui éprouve la distance qui la sépare de son double fictionnel, tout en exprimant la compassion pour l’héroïne. Le bras de fer est devenu promesse de caresse et appel de détresse.
LYDIE SE BRÛLE LES AILES
Lydie Jean-Dit-Pannel apparaît ainsi comme une figure nourricière, qui a cure du monde, qui s’en soucie comme elle en prend soin, curieuse au sens le plus fort du terme. Cette qualité est aussi celle qui la mène à sa perte. Tout comme Psyché, dont l’amour s’est enfui parce qu’elle avait tenté d’en découvrir l’identité, sa volonté de savoir la conduit à assister impuissante aux dérives du monde des humains, et à son effondrement probable. En 2013, elle part à Fukushima, à son retour tout bascule. Le personnage mythique de Psyché n’est plus seulement un alter ego aux yeux de Lydie Jean Dit-Pannel, son désarroi lui apparaît désormais comme une réponse générique, la seule qui vaille, face à l’état d’urgence. Radioactive selfie, qui fait retour à la sobriété des premières vidéos, fige son regard en proie au doute et au questionnement, propre à une âme non seulement errante mais encore perdue. Le souvenir post-traumatique de la catastrophe nucléaire vire à l’obsession, il bute sur le réel et l’enferme dans une boucle. Dans Abandonnés, les prises de vue de Tchernobyl, Hiroshima et Fukushima défilent dans un montage elliptique, difficile à appréhender, à l’image de l’emballement du monde. Les bras repliés sur elle-même, comme pour protéger ses organes vitaux, elle se désole de la marche du monde, figée dans sa sidération. Cette posture amère annonce de nouvelles façons pour elle d’incarner le sacrifice de la planète et l’humanité laissée à son sort qui l’habite. Le projet vidéo & A Fade to Grey, son « road-trip anti nucléaire », fait la synthèse d’une errance dépitée à travers les paysages abimés par l’énergie atomique, quand dans Ad Infinitum, la fable d’Apulée constitue la trame d’une fable contemporaine immorale, qui donne corps à la déchéance du monde contemporain. En parallèle du premier, elle produit la série 14 secondes, dans laquelle, elle sillonne les routes de France ou d’Europe pour finalement s’échouer, nue, face contre terre, dans des territoires contaminés (centrales nucléaires, sites de stockage de leurs déchets, anciennes mines d’uranium…). Dans la série Entertainment, enfin, l’héroïne victime de son incrédulité élargit cette géographie à tout type de lieux blessés par la société capitaliste (un supermarché, le siège social d’Areva, l’usine Packard de Detroit, le Rio Tinto, une décharge sauvage, la plage de verre de la baie d’Ussuri…). Abandonnée sur des espaces qui portent les stigmates de la relation conflictuelle de l’homme à la nature, elle attire l’attention du spectateur sur la nocivité du monde contemporain et la logique autodestructrice qui y est à l’oeuvre.
Les enjeux critiques et poétiques de son oeuvre entrent ici en tension, au risque assumé de la contradiction. Qu’elle exhibe la fierté que suscitaient les architectures nucléaires dans l’imagerie populaire (Bons baisers), qu’elle soit touchée par le vol d’un oiseau noir qui défie le feu à Hiroshima (Flamme de la paix) ou qu’elle fasse d’Atomic de Blondie l’hymne d’une toxicité joyeuse (Vanité atomique), Lydie concède une certaine fascination pour l’architecture et l’esthétique du nucléaire, répondant à la nature mortifère de l’énergie par un réinvestissement des pulsions de vie. « Apocalypticoptimiste » comme elle se décrit elle-même, son oeuvre opère sans cesse la synthèse des enjeux critiques et poétiques de son discours.
L’EFFET PAPILLON
Ses lunettes noires ne l’empêchent pas de voir. Consciente du déni écologique, et du désastre en cours, la nihiliste fait moins confiance aux humains qu’elle ne cherche refuge dans la faune et dans la flore. À travers la figure animale, Lydie Jean-Dit-Pannel exprime son engagement antispéciste, sa conviction que les différences entre les espèces ne justifient aucune forme de domination. Si le papillon occupe une place centrale dans son bestiaire, le devenir-bête de l’artiste trouve également ses expressions dans le cri de louve d’Anita Ekberg (Animale), dans le baiser reçu d’une chouette morte, façon Ripley dans Alien (Filles de la nuit) ou dans le porté à bout de bras d’un loup naturalisé (Love Streams). L’extinction programmée du Monarque n’est en effet que l’annonce d’une extinction plus massive, à laquelle son oeuvre sensibilise, au double sens d’informer et de rendre sensible. Ici, la dégradation du film super 8 d’animaux en voie de disparition (Mes fantômes) double l’évocation d’une nature malade, promise à l’épuisement. À l’image de La Petite ourse, la condition animalière apparaît bafouée, elle a perdu son sourire à force que les hommes jouent avec elle sans la moindre précaution. Symbole de la mélancolie amoureuse, de la migration et de la liberté, l’oiseau qui accompagne l’artiste depuis son enfance colonise aussi son imaginaire de ses ritournelles (Le Mix des oiseaux), comme autant de chants du cygne. Possible pendant à À contre-courant, Et puis s’envoler conclut l’exposition sur une note absurde, l’image d’un petit oiseau qui revient sur ses pas et s’envole, comme pour montrer l’impasse dans lequel se trouve le monde et la possibilité, sinon la nécessité, de s’échapper vers nulle part.
En guise d’épilogue, Lydie Jean-Dit-Pannel tire un dernier signal de détresse. La rétrospective se clôt avec l’installation Méditerranée, rassemblant 3 500 bateaux miniatures, des coques de noix ornées d’une voile triangulaire en papier, noyés dans une mer de copeaux de bois. Réaction poétique face à sa propre impuissance, au manque de volonté politique et à l’invisibilisation des victimes dans le traitement médiatique de la question migratoire, l’artiste s’est imposée une discipline répétitive particulièrement éprouvante, un protocole de longue haleine qui lui permet de prendre la mesure de l’accumulation de ces morts et de la somme des causes qui y ont conduit.
Le monde a bout de souffle ne ressuscitera plus de la vaine tentative de réanimation qu’elle s’est époumonée à réaliser sur des mannequins de survie, métaphore insistante d’une humanité en état de choc. L’urgence est aujourd’hui à dire, à répéter, à crier qu’on est en vie. Alive, alive et still alive ! Clamer son amour de la vie quitte à l’épuiser, clamer son amour même si l’on est fatigué, tant qu’il est encore temps et qu’on en est encore capable. Et tant pis si ses battements d’ailes ne déclenchent pas des tempêtes, Lydie continuera de semer au vent les graines de sa révolte.
_______________
Lydie Jean-Dit-Pannel ALIVE, une exposition confinée
Amélie Lavin, directrice du Musée des Beaux-Arts de Dole, 2020
Depuis le 16 mars dernier, le musée de Dole est fermé au public pour cause de pandémie mondiale.
Depuis ce jour, l’exposition Lydie Jean-Dit-Pannel ALIVE. est, elle aussi fermée, confinée comme nous l’avons été toutes et tous pendant ces longues semaines. Aujourd’hui, nous retrouvons contact avec le monde extérieur et notre musée, bientôt, pourra rouvrir ses portes, et l’exposition ALIVE avec lui. La période étrange que nous traversons actuellement est difficile à vivre pour beaucoup d’entre nous, et comme souvent dans les moments où il est complexe de donner du sens à ce qui advient, l’art et les artistes nous aident à redonner de la poésie, de la forme, de l’intelligence, à un réel qui peut en sembler dépourvu. Le titre que Lydie Jean-Dit-Pannel a choisi pour l’exposition rétrospective de Dole, ALIVE, nous frappe avec d’autant plus de force aujourd’hui, où le monde entier compte ses morts quotidiennement, certes, mais o, aussi, nous sommes toutes et tous tendus vers notre présence au monde jour après jour, notre envie de vivre, nos espoirs d’en sortir bien vivantes et vivants, toujours là, debout, ensemble. L’exposition ALIVE, que vous pourrez bientôt venir voir ou revoir, est consacrée à l’œuvre que l’artiste Lydie Jean-Dit-Pannel construit depuis plus de trente ans. Trente ans de travail et de vie, confinés au musée de Dole depuis de longues semaines.
Artiste engagée dans une œuvre poétiquement politique, Lydie Jean-Dit Pannel est une voyante, au sens où Rimbaud parlait des poètes voyants : celles et ceux qui voient, avant nous, ce que nous n’arrivons pas à saisir. Voyageuse dans le monde entier, elle collectionne les rencontres, les histoires, les objets, les images qui dessinent ses obsessions : l’amour, la poésie, la beauté du monde et de la coexistence des espèces qui l’habitent, la violence des systèmes inventés par l’homme, les rapports parfois toxiques que l’humanité construit avec tout ce qui l’entoure, et qui, aujourd’hui, mènent à la croissance folle, à la violence sociale, à la perte de sens, à la destruction de certains écosystèmes, à la disparition des oiseaux, des abeilles, à l’apparition de maladies folles, de pandémies comme celle que nous vivons actuellement. Alors, en ces jours fragiles et incertains, les oeuvres de Lydie Jean-Dit-Pannel paraissent prémonitoires, elles semblent épouser l’étrange réalité du monde actuel avec encore plus d’acuité et de force. Elles nous aident, nous bouleversent, nous dérangent davantage, sans doute.
Mais nous avons besoin en ce moment, plus que jamais, d’être bouleversés, dérangés, de voir le monde avec lucidité et intelligence, mais aussi d’être aidés, de pouvoir continuer à le rêver ce monde, et à le ré-enchanter. A imaginer d’autres lendemains. C’est à cela que Lydie Jean-Dit-Pannel vous invite.
_______________
Lydie Jean-Dit-Pannel, What a wonderful World
Florian Gaité 2016
Pour Inferno Magazine
Lydie Jean-Dit-Pannel présente au centre d’art Faux Mouvement de Metz une monographie aussi critique que poétique, puisant dans son engagement écologique la force de ses métamorphoses. What a wonderful World (and I think to myself) dresse un constat alerte sur la menace nucléaire, notamment en France, auquel la plasticienne sensibilise à travers des formes et des couleurs aussi vives que l’esprit de contestation qui les inspire. Son œuvre n’adopte néanmoins pas les formes frontales de la parole militante, elle développe au contraire une narration autofictive qui s’oppose avec d’autant plus de pertinence aux fictions collectives (les désinformations politiques, médiatiques, psychologiques), sources du déni et de l’aveuglement des hommes face à l’ampleur du danger.
L’exposition s’ouvre sur une photographie de l’artiste en Psyché, nue sur un rocher, hommage à la Psyché abandonnée de Jacques-Louis David. Alter-ego qu’elle façonne depuis 2012 dans le sillage de la femme aux papillons, l’héroïne antique est une femme blessée, nomade et amoureuse. A travers elle, Lydie Jean-Dit-Pannel dit sa déception face aux désastres liés à l’anthropocène et sa détermination de guerrière à vouloir y répondre. Elle met en scène pour cela l’abandon d’une Psyché contemporaine, échouée sur les sites nucléaires à travers le monde, figée nue, face contre terre, terrassée.
La grande salle montre toute l’étendue plastique du travail de Lydie Jean-Dit-Pannel, plus connue il est vrai pour sa production visuelle ou pour ses modifications corporelles. Exemplaire d’un style plastique simple et franc, l’installation centrale, une étendue de milliers de morceaux de puzzle retournés, installe autant le personnage de Psyché sur les rives d’une mer contaminée qu’elle envahit elle-même symboliquement l’espace. A son image, l’exposition toute entière compte sur des formes ludiques pour mieux dénoncer le jeu d’apprentis sorciers auxquels se livre les hommes. Neuf mannequins de réanimation alignés forment ainsi une chorale de survivants, aussi anxiogène qu’absurde, quand un grand crâne en disques vinyles de l’hymne nihiliste Ashes to Ashes de David Bowie confond les symboles de la vanité et de la toxicité.
Avec une insolence mesurée et un goût assumé pour la dérision, Lydie Jean-Dit-Pannel installe l’univers d’un terrain de jeux faussement innocent. La vidéo Escarpolette présente ainsi Lydie Dit-Jean-Pannel faisant de la balançoire au-dessus de la tour de refroidissement d’une centrale jamais mise en activité à Kalkar en Allemagne. Réhabilité en un parc d’attractions, ce site est à l’image du cynisme contemporain : contrevenant à l’idée de l’impossible recyclage des déchets nucléaires, le manège devient l’image d’un divertissement morbide, qui amène autant d’insouciance et de plaisir qu’il dessine une stratégie capitaliste pour détourner les regards des menaces réelles. Cette ambivalence anime la pratique elle-même de la plasticienne, partagée entre jouissance esthétique pour l’architecture des bâtiments atomiques et le rejet inconditionnel de son économie.
Après avoir parcouru le monde pour tourner & A Fade To Grey, son premier road-trip anti-nucléaire, Lydie Jean-Dit-Pannel a sillonné les routes de France pour mettre en scène Psyché sur des terres toxiques plus proches (Cattenom, Chinon, Chooz, Cruas, Fessenheim, Golfech, La Hague…). Ce deuxième opus est présenté à Faux Mouvement pour la toute première fois sous la forme d’une série de vingt-cinq photographies, 14 secondes, du temps que met son retardateur a déclenché la prise de vue. Entre dérision et force poétique, Psyché tente de mieux faire prendre conscience de la globalisation du problème nucléaire, du fait que personne n’est aujourd’hui épargné. Abondant dans ce sens,Chambre à louer, des centaines de plaques de porte Do not Disturb répartis sur toute la surface des murs (pour la première fois accrochée dans un espace clos) et un nid constitué de centaines d’aiguilles d’acupuncture usagées, disent la fragilité du foyer et l’urgence de prendre soin de notre maison commune.
Complétés par quelques éléments rétrospectifs de cette œuvre prolifique (notamment ses films, dont le dernier Nowhere est montré en exclusivité), l’exposition se conclut sur la signalétique d’une zone de rassemblement, gratifiée d’une sentence (« Encore plus seule que l’année dernière, cet après-midi d’automne »), un message à double entrée, tout comme le titre de l’exposition. Entre optimisme et mélancolie, espérance et incrédulité, Psyché et Lydie Jean-Dit-Pannel scellent ici leur destin commun, celui d’une humanité blessée, qui rit de ses blessures pour tenter de les surmonter.
_______________
Lydie Jean-Dit-Pannel
Anyway, Anyhow, Anywhere
Julie Crenn 2013
Nothing gets in my way
Not even locked doors
Don't follow the lines
That been laid before
I get along anyway I dare
Anyway, anyhow, anywhere.
(The Who – 1965 / David Bowie – 1973).
La pratique de Lydie Jean-Dit-Pannel repose sur la constitution d’un journal à la fois intime et extime. Formé de collections multiples, il prend, au fil des années, une valeur d’archive aussi bien personnelle que collective. L’artiste compile et collectionne des objets tangibles comme les écriteaux chipés dans les hôtels, des pièces de puzzle et des vinyles, elle rassemble également des collections immatérielle constituée principalement d’images glanées sur la toile. Ses collections sont diffusées et exposées au moyen de supports multiples : exposition, papier, conférence, peau, film (PANLOGON) et Internet. Le PANLOGON, un film-journal, est à l’image de sa pratique, in progress. Depuis dix ans, elle nourrit et augmente un film qui retrace ses expériences, ses rencontres et ses projets. Les collections sont formées de photographies réalisées par l’artiste, de tatouages de monarques femelles gravés par des artistes tatoueurs rencontrés au fil de ses voyages, ou encore de visuels récoltés de manière quasi boulimique sur la toile. Toutes ces images forment la trame visuelle et conceptuelle d’un projet de vie, ALIVE. Une archive vivante, riche et jouissive. En vie et en progression, à l’image du blog (une collaboration avec Balack Balack, revue d’architecture) qu’elle alimente chaque semaine en distillant une iconographie traduisant la diversité de ses influences et de ses références personnelles. Un projet initié sur son journal Facebook où chaque jour elle publie sur son mur quelques images avec pour seule mention ALIVE. Depuis 2009, elle compile sans distinction, sans chronologie et sans classement spécifique des visuels de ses propres œuvres (ses performances, photographies et expositions), de stills de films ou bien de séries télévisées, de portraits (chanteurs, acteurs, réalisateurs, artistes, musiciens) et de photographies de lieux traversés, de paysages mythiques. Les registres y sont brouillés, les visages cultes sont associés à des visages anonymes, les morts côtoient les vivants, la frontière entre high and low est évacuée au profit d’une constellation plurielle. Nous y croisons les visages mythiques issus des cinémas de Herzog, Godard, Cassavetes ou de Kubrick. De La nuit du chasseur à Dracula, en passant par Alien et 12 hommes en colère, l’artiste distille au grès de ses envies des corps, des visages, des scènes, des attitudes, des expressions, des gestuelles et des paysages. Des films aux bandes-son indissociables, le rock, son histoire et son esprit accompagnent Lydie Jean-Dit-Pannel au quotidien : Iggy Pop, David Bowie, Debbie Harry, Nick Cave, Alan Vega et bien d’autres. Son imaginaire est ainsi peuplé par des hommes et des femmes, des légendes inspirantes. S’il fallait attribuer un guide à ce panthéon protéiforme, Charles Bukowski y tient une place de premier ordre. Le déroulé de la page génère une cohérence et un récit autobiographique à la fois visuel, mémoriel et émotionnel. Les images font écho à ses recherches plastiques : le corps, la traversée, la musique, la poésie, les animaux, les relations humaines, l’inconnu, le partage, la liberté. L’ensemble constitue une mosaïque infinie, une représentation inédite d’une construction personnelle partagée. La dissémination des images sur une page web qui elle aussi nous semble infinie, traduit une volonté d’établir une mythologie qui soit à la fois intime et collective. Des corrélations s’engagent entre l’artiste et nos expériences, un dialogue visuel s’articule de manière quotidienne. En elle, nous nous retrouvons à travers ses mosaïques, des symboles et des idoles inscrits dans nos propres constructions.
Rudérale.
Lydie Jean-Dit-Pannel 2019
Ce texte a fait l'objet d'une lecture pendant une session de tatouage (le 47éme papillon monarque : Malakoff) à la maison des arts centre d'art contemporain de Malakoff, accompagnée d'un live de I Apologize Redux (Jean-Luc Verna & Gauthier Tassart).
C'était décembre. Une araignée avait tissé sa toile entre les deux cyprès en pot devant sa fenêtre. Le ciel du jour le plus court de l'année était bleu, les vitres étaient sales. Elle avait encore déménagé. Il faisait froid. Elle brancha le radiateur électrique et l'air sentit la poussière ancienne. A côté d'elle sur le lit, des carnets. Quelques dizaines. Elle les avait sorti d'un vieux carton noté "VRAC". Des années de vertiges à côté de la radio ou assise au bar devant le journal, à attraper ces phrases qui simplement passent.
Cinq palestiniens dans le sud de la bande de Gaza. Cent soixante dix sept personnes dans une discothèque de Buenos Aires. Deux cent vingt cinq mille personnes en Asie du Sud-Est (le chiffre a été rayé et corrigé plusieurs fois). Six personnes d'une même famille dans un immeuble du centre ville de Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin. Un cycliste de 36 ans à Valence. Cinq personnes sur une autoroute au sud de Madrid. Dix huit personnes au nord de Bagdad. L'un des fils de Nelson Mandela dans un hôpital de Johannesburg. Quatorze personnes près de Bologne. Un israélien dans le nord de la Cisjordanie. Un palestinien dans la bande de Gaza. L'écrivain Pierre Daninos à Paris. Une jeune fille de 18 ans sur la voie ferrée Toulouse / Narbonne. Le suspect de l'assassinat de la mère de famille dans la région d'Orléans, dans sa cellule. Un palestinien dans la bande de Gaza. Un officier français en Sud-Liban. Jacqueline Joubert, première speakerine de la télévision française. Cing personnes dans une maison près de Mossad, dans le nord de l'Irak. Quatre personnes à Bagdad. Un adolescent de 15 ans dans un lieu de culte à Cayenne en Guyanne. Treize personnes en Europe du nord. Le professeur Choron à 75 ans. Quatre personnes en Californie. Sept policiers à Tikrit. Vingt personnes à Bagdad. Deux pilotes dont l'italien Fabrizio Meoni dans les dunes de Mauritanie. Une personne sur un chantier dans le centre de Valenciennes. Huit ouvriers dans le nord de l'Espagne, dans un entrepôt à Burgos. Six palestiniens entre Israël et la bande de Gaza. Sept irakiens devant une mosquée chiite à 40 kilomètres au nord de Bagdad. Un homme sous le pont de Millau. Un patient dans un hôpital psychiatrique près de Bethune. Un chasseur de Lozère. Une personne dans les Côtes-d'Armor. Deux cent vingt sept personnes en Asie du Sud-Est. Vingt chiites irakiens à Bagdad. La chanteuse Consuelito Velazquez à 88 ans. Deux personnes à Bagdad. Une femme de 44 ans à Bordeaux. Trois cents hindous devant un temple dans le nord ouest de l'Inde. Un SDF à Versailles. Deux personnes en Turquie. Sept policiers à Bagdad. Trois skieurs et un surfeur en Savoie. Un SDF de 56 ans près d'une bretelle d'autoroute près de Lyon. Neuf personnes dans un train à Los Angeles. Trente et un soldats américains dans l'ouest de l'Irak. Deux personnes à l'ambassade des Etats-Unis à Bagdad. Treize personnes dans des bureaux de vote à Bagdad. Un plongeur sous-marin à La Ciotat. Vingt personnes autour des bureaux de vote en Irak. Cinq personnes à l'est de Kuwait City. Le boxeur allemand Max Schmeling à l'âge de 99 ans. Une adolescente dans le Pas-de-Calais. Quatre personnes au sud de Bagdad. Deux soldats américains à Bagdad. Jacques Villeret. Un jeune homme devant un distributeur de billets du centre ville de Strasbourg. Le président du Togo. Une jeune femme de 25 ans enceinte en Seine-et-Marne. Dix sept jeunes dans une auberge en Espagne. Douze policiers à Mossoul. Quatorze recrues de l'armée devant une base militaire à Bagdad. Trois personnes à Tomé au Togo. Dix sept personnes au sud de Bagdad. Un haut magistrat en Irak. Un chauffeur de poids lourds sur l'autoroute dans le Gard. Alfred Sirven à Dauville. Rafik Hariri, ancien premier ministre libanais et huit personnes en plein centre de Beyrouth. Dix personnes aux Philippines. Un soldat américain à Bakoubé en Irak. Le chanteur Pierre Bachelet. Le peintre Paul Rebeyrolle. Trente personnes à Bagdad. Quatre israéliens et un kamikaze devant une discothèque de Tel Aviv. L'agent secret italien Nicolas Calipari à Bagdad. Un skieur de 25 ans à Chamrousse en Isère. Dix neuf personnes à la frontière syrienne en Irak. Quinze personnes près de Latifia au sud de Bagdad. Trois personnes au centre de Bagdad. Une personne à Bassora en Irak. Deux enfants dans une ferme de Seine-et-Marne. Huit personnes lors d'un service religieux dans le Wisconsin aux Etats-Unis. Dix irakiens à Bagdad. Un soldat américain à Mossoul. Deux civils à Bagdad.
Elle alluma une cigarette et jeta le carnet sur la pile. Entre chien et loup c'était maintenant.
Elle s'était déjà fait épinglée. Elle traînait souvent vers Austerlitz, le jardin des plantes, le Muséum d'histoire naturelle. Les histoires de cœur, les coins sombres, les espèces rares, l'amour éternel, tout ça, elle en connaissait un rayon. Longtemps, elle s'est couchée très très tard. On ne pouvait plus la lui faire. C'était une filmeuse. Elle avait commencé en BVU SP, était passée sans mal du Hi8 au mini DV. Aujourd'hui, il lui arrivait d'égarer ses cartes SD dans les poches de son sac à main. Les images voyagent. Elle aimait le bruit des trains, les aéroports et rouler en voiture en écoutant de la musique très fort. Enfant, comme Osa Johnson, elle voulait être aventurière. Elle détestait les fleurs séchées dans les maisons de campagne. Elle avait vu son chat bouffer les oisillons d'un nid. Elle avait vu aussi un aigle chasser un renard. De son village natal au nouveau monde, des forêts de Bornéo aux arènes de Madrid, des guesthouses de Chang Mai aux bars d'Austin, des ruelles du Yucatan aux friches de Budapest, elle s'était cognée sur un sacré paquet de coins du monde. Et elle en avait des traces. Dans les bars et dans la rue, on l'appelait Madame Papillon. Son corps et elle avaient toujours du nouveau à raconter. Ils avaient entamés ensemble une grande migration. Tout cela à cause d'un lépidoptère qu'elle avait rencontré lors d'un séjour au Québec. L'instinct l'avait guidée à l'insectarium de Montréal et elle y avait eu comme une fulgurence. Le papillon monarque. Un papillon migrateur de moins d'un gramme capable de franchir près de 5000 kilomètres afin de se reproduire et d'assurer la survie de son espèce. Un voyage panaméricain. Un déplacement de masse par dessus des frontières. Un aller/retour Canada/Mexique chaque année. Des centaines de millions de spécimens se retrouvant en même temps sur quelques hectares de forêts. Des paysages de montagne qui durant quelques mois s'animent et bruissent d'une nappe orangée. Des légendes populaires accompagnant une curiosité biologique. Trois générations pour accomplir le voyage de retour. Un phénomène à l'étude depuis seulement un vingtaine d'années. Une espèce sévèrement menacée par la déforestation et les pesticides.
Tant d'images possibles (parce qu'il s'agissait toujours de faire des images). Fascination. Recherches. Rencontres. Ou peut-être pas dans cet ordre. Une planche entomologique du Danau Plexippus femelle est confiée à un artiste tatoueur lors de chacun des déplacements de l'artiste. Qu'elle voyage pour des raisons professionnelles, familiales, amoureuses ou secrètes, une marque est fichée sous sa peau. Des styles et des techniques différentes. Au fil du temps, le corps alors, comme les paysages mexicains, se pare du murmure du seul papillon migrateur de notre planète. Elle s'était fait empapillonner pour la première fois dans un Tattoo Shop de Québec, puis, et parfois à plusieurs reprises, et toujours pour de bonnes raisons, à Nîmes, Paris, Dijon, Londres, San Francisco, Las Vegas, Cheyenne, Genève, Marseille, Caen, Copenhague, Mexico D.F., Acapulco, Madrid, Budapest, Merida (Yucatan), Chiang Mai, Bangkok, Karlsruhe, Cape Canaveral, Miami, Bourges, Belfort, Tokyo, Kuching (Bornéo), Kuala Lumpur, Montréal, Gdansk, Almeria, Roswell, Los Angeles, Austin, Saint-Pierre (La Réunion), Xalapa, Kiev, Hiroshima, Moscou, Liège, Naples, Vladivostok. Elle porte à ce jour 46 paires d'ailes oranges et noires. Still in progress.
Elle avait toujours cru au hasard. Être là au bon moment. Être là au même moment. Born Like This, Born Into This. Aux coins du monde, elle avait croisé un grand nombre de regard, humain ou animal, tout aussi perdus ou tout aussi déterminés qu'elle. Vidéo, photographie, installation, action. Elle adorait faire des boucles et des rebonds. Des hommages aussi ou des clins d'œil. Il y avait cette poésie de Bukowski. Celle dans laquelle il avoue son oiseau bleu. Elle l'assiégeait. Elle avait passé plus d'une année, enfermée chez elle à ne rien faire d'autre que lire Bukowski. Elle lisait dans son lit, dans la baignoire, sur le balcon, sur le tapis du salon orange.
Cela avait pris quatorze mois. Elle avait lu quatre recueils de poésie, une bonne centaine de nouvelles, six romans, deux anthologies, les correspondances, les chroniques et quatre biographies. Tout le vieux était rentré en elle. Elle avait fait un tour complet. Au début du quinzième mois, elle avait quitté son appartement. Les temps étaient difficiles. Ouvrir les journaux le matin était comme
a - se prendre une gifle par son institutrice devant la classe entière
b - le souffle aigre de la bouche du curé pendant le catéchisme
c - l'humidité âpre d'une cellule
d - tomber dans un puît sec
Un billet d'avion, une location de voiture, une petite robe noire, vingt et un giga de musique. Elle a roulé pendant deux mois, avalant les miles défoncée aux paysages cinématographiques. Hurler, chanter sur la musique et puis silences, motels, parcs nationaux, animaux sauvages, barbecues, tequila, vins californiens. La grande Amérique. La frontière Mexicaine. Les orages. L'océan. Les pièces de Land Art. Et puis dire bonjour à Buk.
Elle se trouvait maintenant sur les hauteurs de Palos Verdes, au sud de Los Angeles. En se retournant, elle pouvait voir l'océan, dans le fond du paysage, derrière le port et les containers. Plot Ocean View # 875. Charles Henri Bukowski. Hank. Le vieux est là. On peut s'assoir sur lui. Don't try. C'est l'épitaphe du Monsieur. N'essaie pas. Fait le. Elle enlève un cheveux rouge tombé sur sa robe. Elle ouvre une bière, retire ses chaussures, détache ses cheveux. Elle sourit. Elle parle des courses du matin à Hollywood Park, elle n'a rien compris aux paris des joueurs. Elle lui raconte la route, le lac salé, les longues marches au Yellowstone. Elle boit lentement, tout en versant régulièrement un peu de bière sur la pelouse. Elle partage avec lui. Juste un peu trop tard.
Pas de toilettes au cimetière. Elle remplit un bol accroupie à l'arrière de sa voiture et jette la pisse chaude dans le caniveau. Impossible d'attendre. Elle a bien fait, un embouteillage monstrueux l'attendait après les Greens Hills. La musique la fait patienter. Ashes to Ashes funk to funky. Elle a furieusement envie d'un verre. Effet Bukowski. La Highway se dégage. La Mercury Cougar 1968 aime les routes vides, ouvertes.
Elle réussit à se garer sur Whitley avenue, un parking à quinze dollars l'heure à deux pas du resto préféré du vieux quand il a eu du fric. Elle commande un verre de Merlot Sonoma County. Elle est assise dans un box dans la première pièce de chez Musso & Frank. Elle choisit sur la carte un e salade de tomates, et un autre verre de vin rouge, NON, la bouteille. Les tomates sont farineuses. La salle pue la viande grillée. La nappe est trop blanche. Elle glisse la bouteille dans son sac à main. FAST. Le motel n'est pas loin. Elle avait réglé trois nuits d'avance. Elle vomit dans les toilettes. Quelques bouts de tomates dans du vin.
Allongée sur le king size de la chambre, elle bloque sur le ventilateur. Elle se souvient d'un petit déjeuner quelques semaines plus tôt dans un camping vide de Grand Teton National Park. Elle avait dormi à l'arrière de la Cougar dans son sac de couchage rouge. Elle avait fait un feu et avait pris une douche les pieds dans des milliers d'insectes morts sur la faïence. La nuit avait été claire et silencieuse. Elle avait eu un peu peur. Vers six heures, encore emmitouflée dans son duvet, elle fumait une cigarette assise sur la table en bois de son emplacement. Elle essayait d'oublier cet homme qu'elle avait quitté trois jours plus tôt à l'aéroport d'Austin, Texas. Elle avait tracé depuis.
Sur ma manche
elle reprend son souffle -
la luciole en fuite
Kobayashi Issa
Elle avait réussi à mettre en place une résidence à l'insectarium de Montréal. C'était en septembre. En échange de la réalisation d'un film montrant les étapes de transformation oeuf/chenille/chrysalide/papillon, elle avait accès dans son atelier à une grande quantité de chenilles afin d'étudier l'affaire. En bonus, les précieux conseils des entomologistes.
Elle avait entendu au Mexique une légende. On disait que les monarques arrivant de leur longue migration portaient avec eux l'âme des ancêtres. Les monarques arrivent dans les forêts du Michoacan début novembre, au moment de la fête des morts. On disait aussi que l'âme sort du corps par la bouche, sous la forme d'un papillon.
Le plan était le suivant :
1 - Faire naître sur ses lèvres et devant la caméra un papillon monarque femelle.
2 - Le marquer selon les instructions du programme Monach Watch. (Si nous connaissons aujourd'hui les points de départ et d'arrivée de la longue migration du monarque, nous ignorons toujours comment il se rend d'un point à l'autre. Comment s'oriente-t-il ? Comment transmet-il l'information et le «plan de vol» d'une génération à l'autre ? C'est pour répondre à ces questions que le programme panaméricain Monarch Watch a été créé. Piloté par le département d'entomologie de l'université du Kansas, aux États-Unis, ce vaste programme comprend deux volets : l'étiquetage et l'observation des monarques.)
3 - Lâcher le papillon afin qu'il accomplisse sa longue migration. Une performance physique extraordinaire. Avec ses milliers de camarades, il s'élance pour un vol de plus de deux mois, à raison de 80 à 120 kilomètres par jour. Il se laisse porter par la bise et les gènes ancestraux qui le poussent irréversiblement vers les forêts du coeur du Mexique, où il sait pouvoir se reproduire.
4 - Partir au Mexique.
5 - Retrouver le papillon.
Elle possédait son brevet européen des premiers secours, c'était déjà ça. Elle était capable, en théorie, de sauver des vies. Elle avait fait du massage cardiaque sur des torses en plastique. Elle avait soufflé dans des bouches vides. En cherchant le papier de la croix-rouge au fond du tiroir de son bureau, elle était tombée sur une reproduction d'une esquisse de David représentant Psyché abandonnée sur son rocher. Le papier était un peu froissé, mais le visage diaphane de la jeune femme ne la quitta plus. Il y avait eu comme un fondu au gris. Elle se mit à lire les Métamorphoses d'Apulée.
Elle se souvenait de ces longs moments dans l'atelier à Montréal, pendant lesquels elle forçait la nature à lui montrer un passage. Cela faisait une semaine qu'elle était installée dans la ville du nouveau monde. Elle était revenue en taxi de l'insectarium avec une mini serre et un plan d'asclépiade, le met exclusif des chenilles de monarques. 30 d'entre elles s'activaient sur la plante. Un doux repas entre amis, une nuit calme et, comme si elles s'étaient données le mot les chenilles une à une se mirent à s'accrocher à la paroi de la serre ou aux branches de la plante. Elles avaient décidées toutes en même temps de commencer leur transformation. Une petite sécrétion de soie sur le bout de l'abdomen, elles se jetaient à l'arrière, la tête dans le vide, et se positionnaient en forme de J, immobiles. Elles se contorsionnaient, de temps en temps puis ne bougeaient plus. Elles se contorsionnaient à nouveau plus frénétiquement, puis ne bougeaient plus pendant des heures. Elles se contorsionnaient une dernière fois, gonflant chacun des anneaux de leur corps, et se contractaient dans un spasme. Alors la peau éclatait à l'arrière de leur tête laissant apparaître une énorme larve jaunâtre qui a son tour se mettait à se contorsionner, repoussant la peau noire rayée de blanc et de jaune, jusqu'à se qu'elle ne tombe au sol comme un détritus. Une fois débarrassée de cette entrave, les larves comme torturées de l'intérieur, s'agitaient frénétiquement dans tous les sens. Elle pouvait dire sans se tromper que c'était gore. Elle en avait le ventre retourné. Les larves finissaient par se recroqueviller sur elles-même, leur peau se tendait et devenait chrysalide.Totalement immobiles maintenant elles étaient vertes cerclées d'un liseret d'or, un vert clair comme la peau d'un très jeune enfant Alien. Des bijoux dans une vitrine. Une parure. Se fabriquer des ailes, un sexe, des couleurs. Une longue attente commence. Les chrysalides sont maintenant bleutées, l'émergence va avoir lieu dans quelques heures. La lumière artificielle est belle sur la plante. Les chrysalides ressemblent à une broche atomic. Elles sont devenues totalement noires ciselées d'or. Elle a envie d'une cigarette. Plus rien ne bouge, cela ressemble à de la science fiction. On nage en plein Ridley Scott, 18 chrysalides pendent silencieusement de la paroi supérieure de la volière, 12 sur le plan d'asclépiade. Elles patientent en attendant que leurs organes prennent place.
Il est 23h40. Zoom avant sur l'une des chrysalides. Le papillon maintenant à l'intérieur va décider dans quelques instant de déployer ses ailes pour la première fois. Il va faire craquer l'enveloppe à l'endroit de la petite ligne de points dorés. Nick Cave est à l'harmonica New Morning. L'Ipod est raccord. Attente longue et solitaire. Ce papillon est patient, il doit sentir le froid de Montréal dehors. Il va attendre le petit matin. Elle attendra avec lui. Immobile comme lui. Il est 5h07, le jour n'est pas encore levé, rien n'a bougé. La chrysalide est maintenant totalement transparente et elle est épuisée. Nick emmerge à 7h20. Il fait éclater l'enveloppe de la chrysalide d'un coup et son énorme corps sort, plus gros que la chenille qu'il était et que la chrysalide qui le contenait. Il a des ailes minuscules, comme les ailes d'une mouche. Il semble totalement disproportionné. Elle le croit atrophié, malade, mal formé, elle se dit que le Mexique c'est foutu pour lui. Qu'il ne pourra jamais voler vers les terres de ses ancêtres. Il doit l'entendre alors doucement il gonfle ses ailes. Comme un papier buvard, ses dentelles oranges et noires s'étendent, offertes à la lumière et à l'air. Il devient majestueux, le monarque parfait, deux points noirs sur les ailes inférieurs, marque de mâle arborés fièrement. Il les fait battre. Il est prêt. Elle ne l'était pas vraiment. L'été avait fini par être particulièrement chaotique. Les nuits étaient trop souvent blanches, et s'étiraient à l'infini comme le curseur sur la time line d'un logiciel de montage vidéo. Il fallait provoquer quelque chose. Un matin, après avoir eu un choc nocturne devant la copie remasterisée du film d'Alain Renais, elle décida d'aller à Hiroshima. Elle n'avait aucune explication à ce choix. C'était devenu instantanément viscéral. Il fallait qu'elle y aille. Elle mangerait du riz et des pâtes tous les jours au retour, et renonça à l'achat d'un lit pour le nouvel appartement. Elle pourrait dormir par terre encore quelques mois. Elle prit un vol pour le Japon sur un site de voyage à moindre coût. Paris - Moscou. Moscou -Tokyo Narita 11:45 SU260 AF 1170 Expected on Time. C'est les yeux brulants qu'elle embarquait dans l'Airbus A330 d'Aeroflot, avec le sentiment fort d'être au monde. Elle n'avait pas beaucoup dormi dans la nuit à Montreuil. Une toute petite fille de quelques jours dormait juste à côté de sa chambre, c'était un peu stressant mais les parents, ses amis, étaient heureux et calmes. Levé avant l'aube, métro, RER, aéroport, enregistrement, enregistrement des bagages, contrôle de sécurité, fouille et duty free. Une bouteille de Veuve Cliquot, un flacon de Chanel 5, un rouge à lèvre Rouge allure Velvet 39 La Somptueuse de chez Chanel non testé sur les animaux et une cartouche de Winston bleues. Des cadeaux pour ses hôtes à Tokyo et pour ses poumons.
A deux reprises dans la journée.
Je n'ai pas eu le courage encore de tout regarder.
Des émotions incontrôlables et beaucoup de larmes.
J'ai fixer la flamme de la paix pendant des heures sans pouvoir me réchauffer.
Assise au bord de la rivière face au Dôme de la bombe j'ai pensé à vous.
Plusieurs options s'offraient à elle.
Par le nord : Shibuya - Ueno - Sendai (par le Shinkensen) - Hamayoshida (par la ligne Joban).
Par la ville de Fukushima : Shibuya - Ueno - Fukushima (par le Shinkensen) - Hamayoshida.
Par le sud : Shibuya - Ueno- Iwaki (par le train "Super Hitachi") - Hirono.
Une région contaminée pour des centaines d'années.
600 000 liquidateurs se relaieront de 1986 à 1992 pour décontaminer le site
et construire un sarcophage autour du réacteur en fusion.
60 000 sont morts.
165 000 sont handicapés.
Seule avec ses démons et ses obsessions, elle partait sans aucune unité de temps. Juste une destination et puis une autre, à son rythme, à celui des images et des rencontres. Elle fit le tour à pied du site de stockage de l'Aube. Elle pissa dans une station service avec un bus entier de japonais sur l'aire du Haut-Koenigsbourg. Elle mit Psyché au bain dans le Grand canal d'Alsace face à la centrale de Fessenheim. Les fesses dans le Styx, elle contempla l'enfer. Elle se perdit dans le brouillard de Cattenom. Elle mangea un délicieux risotto vegan en fumant de l'herbe chez des amis de Metz. Elle filma des vaches, des ânes, des chevaux. Elle abandonna Psyché à chaque fois. Elle passa du temps au poste de gendarmerie de la centrale de Chooz. Elle chia sur les feuilles mortes dans les forêts des Ardennes en regardant passer un hanneton. Elle secoua les arbres pour faire une pluie jaune d'automne. Elle fût fascinée par la collection d'art brut du LaM. Elle se prit une cuite géante et dansa jusqu'au matin au Lyautais à Lille. Le silence électrique aux pieds des centrales la tétanisait. Elle regarda le dernier episode de "Orange is the new black" dans un hôtel minable qui sentait les pieds des autres. Les personnages de la série lui manquèrent dès le lendemain. Elle avait l'addiction facile. Elle prit la direction nord ouest totale. Gravelines. Penly. Paluel. Cherbourg. La Hague.
Le 17 novembre 2018 apparait le mouvement citoyen des Gilets Jaunes. Elle attendait un soulèvement depuis longtemps. Elle désespérait de solitude dans ses luttes. Elle se reconnaît immédiatement dans les Gilets Jaunes. Dans ces voix qui s’élèvent. Toutes ces voix et ces corps qui disent. Qui crient la souffrance d’un peuple fragiles, écrasés, humiliés, niés. Qui crie les injustices et les aberrations. Qui crie les inégalités.
La répression est immédiate. L’absurdité est gigantesque. Le mépris et la surdité du gouvernement est inacceptable et effrayant.
Le 8 décembre 2018, lors de l'acte 4 du mouvement, alors que les forces de l'ordre maintiennent les manifestants confinés sur les Champs-Elysées à coup de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement, Elle manifeste et abandonne Psyché. Lasse. Désespérée. Plus rien ne tient.
Acte 7 Résistance
Acte 8 Résistance
Acte 9 Résistance
Acte 10 Résistance
Acte 11 Résistance
Acte 12 Résistance
Acte 13 Résistance
Acte 14 Résistance
Acte 15 Résistance
Acte 16 Résistance
Acte 17 Résistance
Acte 18 Résistance
Acte 19 Résistance
Acte 20 Résistance
Acte 21 Résistance
Acte 22 Résistance
Acte 23 Résistance
Acte 24 Résistance
Acte 25 Résistance
Acte 26 Résistance
Acte 27 Résistance
Acte 28 Résistance
Acte 29 Résistance
Acte 30 Résistance
Acte 31 Résistance
Acte 32 Résistance
Acte 33 Résistance
Acte 34 Résistance
Acte 35 Résistance
Acte 36 Résistance
Acte 37 Résistance
Acte 38 Résistance
Acte 39 Résistance
Acte 40 Résistance
Acte 41 Résistance
Acte 42 Résistance
Acte 43 Résistance
Acte 44 Résistance
Acte 45 Résistance
Lever 6 h. Comme chaque samedi j’ai refusé les invitations à un vernissage ou à l’apéro, les séances de cinéma, les promenades en forêt où les concerts. Je laisse en pause l’atelier. J’embrasse ma famille. Je leur dis que oui, je vais faire attention, que je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer. De la musique à fond dans les oreilles je file vers le métro. Cette fois le rdv avec les copains est à Saint Lazare. Je les ai tous rencontrés sur le pavé. 45 samedis ensemble. Cela nous a soudés. C'est le 21. C'est la convergence. On attend ça depuis tellement longtemps. Fouille à la sortie du métro. On s'était dit en civil. Pas de gilet, pas de badges, pas de pancarte. Je suis très en avance au bar pour le rendez-vous de 8h. Je suis trop excitée pour attendre. J’observe les forces de l’ordre qui s’organisent partout. Tout le monde est à l'heure. On prend un café, on rit de se voir en civil. On file à Madeleine lieu de rassemblement donné la veille sur démosphère. Plus on avance, plus on croise des gilets jaunes en civil qui partent dans l’autre sens. « Ne montez pas ils embarquent direct ». Madeleine est inaccessible. CRS par centaines. Voltigeurs partout. Un cortège se forme malgré tout. On est là. Nous sommes repoussés par l’arrière par des sommations. Chants à tue tête. Rires. On se dirige gare Saint-Lazare. Course de CRS derrière et à côté de nous. Ils nous nassent devant la gare. Gaz. Gaz partout. Il y avait eu ce samedi sur les Champs Elysées. Celui où le Fouquets avait brulé. 4 grenades lacrymogènes avaient explosé sur mes pieds. J’avais pris le gaz à plein nez. Je m’étouffais, je suffoquais. Je sentais chaque vaisseau de mes poumons bruler. Je ne voyais plus rien. Mes yeux débordaient de larmes et de douleur. J’étais tombée au sol et ne pouvait plus bouger. Il pleuvait encore des balles lacrymo. C’était le chaos. Je pensais que j’étais entrain de mourir. Un street médic a surgit et m’a soulevée. Il m’a maintenue sous l’épaule et trainée en toussant et crachant dans la panique générale jusqu’à un coin de rue épargné. Il m’a aspergée de Malox pour soulager les brulures. Plus tard, lorsque nous nous sommes tous retrouvés, nous ressemblions à des zombies, le visage et les vêtements blancs des traces de Malox. Alors ce matin là devant Saint Lazare nous avons couru. Alors que l’on se dit toujours en manif lorsque les CRS chargent «on ne court pas. On ne court pas. » Nous nous sommes réfugiés dans la gare. Les CRS étaient à nos trousses. Gaz dans la gare. On descend vers les métros. Le gaz descend jusque là. Les passagers sur le quai toussent et pleurent. Les enfants et les familles ont peur. On entre dans la première rame qui passe. Ligne 14. Tous les passagers ont les yeux rouges et se réfugient le visage dans ce qu'ils peuvent. On sort quelques stations plus loin. On décide de rejoindre le point de ralliement « manif pour le climat et gilets jaunes » à Luxembourg. On traverse Paris à pied. Très en avance pour la manif officielle et autorisée, on prend un verre et on rapatrie par téléphone tous ceux que l’on avait perdu dans la panique. On mange un couscous tous ensemble en regardant bfm tv qui a sorti tous ses experts et nous diffuse des images de CRS aux Champs Élysées.
Place Rostand. Du monde beaucoup de monde. Enfants, ados, adultes, personnes âgées, familles. Ecolos, anti-nucléaires, vegan, gilets-jaunes, ... Des milliers de personnes sous le soleil. Magnifique convergence. Le cortège part vers 14h. Liesse du nombre et de la diversité. Chants fanfares slogans. Gaz. Nous nous appuyons les uns sur les autres et respirons le moins possible dans nos foulards. La foule est compacte. J’entends la fanfare qui continue de jouer malgré les gaz, les notes se perdent, s’étouffent, crachent en une lamentation. Le cortège est obligé de repartir en sens inverse. Retour au point de départ. Nasse de la place. Personne ne peut sortir. Les personnes pas habituées aux manif et ayant pris peur avec les gaz sont affolées. Les CRS renvoient tout le monde dans l'autre sens. Le cortège part une 2e fois. Moins dense. Nouvelle nasse arrivés sur Gobelins. On tente de sortir par le haut. Gaz. On se réfugie dans un hall d'immeuble. Une quinzaines de personnes. Surtout des femmes. Certaines beaucoup plus âgées que moi. On doit en sortir les mains en l'air face à une ligne de bacqeux qui nous tiennent en joue avec des LBD. Le carrefour est complètement nassé. Charge ultra violente de la bac. Matraquage. La panique dans les yeux rougis de ma soeur de manif. Ultime vision de cauchemar avant de fondre en larmes de stress et de peur, un homme rond déguisé en Jules Cesar, calme et les mains en l'air devant un cordon de CRS, un CRS lui vide une bouteille de lacrimo direct à quelques centimètres du visage. Il hurle et tombe.